- soit un internaute qui télécharge illégalement une œuvre numérisée,
- téléchargement dont l'illégalité est détectée par un système automatisé,
- cet internaute reçoit un e-mail lui signifiant que telle Haute Autorité sait qu'il télécharge illégalement quelque chose, sans lui dire exactement quoi,
- puis en tant qu'usager il reçoit un courrier recommandé avec accusé de réception, toujours sans qu'on lui précise exactement ce qu'on lui reproche,
- puis toujours en tant qu'usager sa connexion se voit interrompue.
Je passe sur les suites judiciaires telles qu'amendes et procès.
Je passe sur l'aspect délibérément kafkaïen du scénario.
Le Parlement Européen de se déclarer pour une reconnaissance d'un droit inaliénable à la connexion à internet, les associations faisant remarquer que couper une connexion à internet dans le cas d'un accès partagé, tel qu'au sein d'une famille, pénalise tous les usagers sans distinction, les entreprises n'étant pas concernées, bref.
Les acteurs du web de signaler que l'interconnexion des réseaux et les comportements sociaux qui existent d'ores et déjà au-dessus d'internet impliquent nécessairement une évolution du modèle économique que suivent les industriels de la culture de masse, et qu'un repli irrationnel du genre loi Hadopi ne fera en tout état de cause que s'opposer vainement au sens de l'Histoire plutôt que l'accompagner, c'est-à-dire obligera tout le monde à subir les changements plutôt qu'en être les acteurs, bref.
Les techniciens qui connaissent leur sujet d'estimer que pour mettre en place un filtrage un tant soit peu consistant les moyens à mettre en œuvre, en plus de la coordination entre les services publics et les opérateurs privés, dépassent de beaucoup tout ce qui serait suffisant à radicalement moderniser les usages des NTIC par l'État, dossier dont on sait par ailleurs, et peut-être par une symétrie d'ignorance ? que les parlementaires refusent de le prendre en main par peur de l'effort à produire, bref.
Ce qui intimement me choque depuis le début se condense en deux points, qui ne sont pas relevés dans ce qui précède :
- un projet législatif qui consiste à surveiller et à demander des comptes aux citoyens de leur surveillance sans leur donner les éléments auxquels ils pourraient s'opposer. Au lieu de dire : « nous avons relevé que le 12 juin 2009 à 21 h 53 la connexion internet n°XYZ chez le fournisseur XYZ, dont vous êtes l'abonné, a été utilisée pour le téléchargement du film "Taxi 4" par le logiciel Peer-to-peer eMule en passant par les cartes réseau d'adresses MAC n°XYZ, ce qui sauf au cas où vous détiendrez par ailleurs le droit de ce téléchargement (copie privée) vous expose, etc. etc. », le projet de loi prévoit de pouvoir dire : « une activité illégale a été détectée sur votre ordinateur, veuillez désormais obtempérer aux ordres de telle Haute Autorité ».
- une surveillance et une analyse exhaustives des communications qui passent par le réseau internet, toujours sans à rendre de comptes aux usagers.
Le premier point contrevient frontalement à l'idée que je me fais du droit. Je sais que l'Habeas corpus a été un progrès dans l'Histoire, eh bien visiblement il faut continuellement expliquer les progrès passés et réaffirmer les acquis dont nous jouissons au quotidien.
De plus les NTIC permettraient à moindre coût une transparence d'information des citoyens, qu'il s'agisse de l'action de l'administration ou à plus forte raison de ce que la société serait en droit de leur reprocher. Envoyer un courrier à un quidam coûte au moins un timbre, mais mettre en ligne tous ses logs de connexion qui ont fait l'objet de telle surveillance automatisée, coûte bien moins, et garantirait une symétrie entre l'accusé et l'accusateur, symétrie qui devrait au-delà de l'épiphénomène Hadopi être revendiquée comme sacro-sainte, mesurée par des moyens objectifs et dont la mesure devrait être publiée.
Je trouve que le fait que la magouille évoquée concerne un projet de loi du domaine des NTIC est parfaitement secondaire. J'ai ainsi toujours été choqué que sous prétexte de radars automatiques on fasse payer des amendes sans en pratique fournir systématiquement la preuve du délit.
Le deuxième point, de surveillance absolue, concerne une question de projet de société. Voulons-nous ou non que nos agissements soient l'objet de surveillance systématique ? C'est en quelque sorte un retournement de la question démocratique, mais dans les deux cas la symétrie est une nécessité pratique : on ne peut pas imaginer une démocratie dans laquelle les citoyens n'auraient pas un accès égalitaire à l'éducation et à l'information d'une part libre et d'autre part publique, et on ne peut pas construire une société de la surveillance si, en gros, ce qui est relevé et désormais décortiqué n'est pas librement accessible en tant que données brutes à ceux qui sont surveillés.
Certes, la surveillance totale et la symétrie qui lui est un nécessaire corollaire dans un bête cadre de stabilité sociale, impliquent de refonder l'idée qu'on se fait de l'intimité et de la vie privée. Il faut simplement savoir ce qu'on veut.
Pour conclure et résumer je dirais que le projet de loi Hadopi ressort d'un monstrueux et pervers processus de démantèlement du droit et par conséquent d'aliénation de nos libertés. Que je suis effaré que le débat populaire sur Hadopi se concentre sur les aspects dits de progrès, qu'ils soient technologiques ou relevant de nouveaux modèles économiques, alors que les principes mêmes qui permettent qu'on s'accorde librement à se soumettre au droit y sont violemment souffletés.
C'est comme s'il y avait la volonté d'un divorce entre le droit subi et celui auquel on adhère. Petit à petit cela représente une catastrophe sociale.
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