L'article parle bien du problème de la preuve : en gros ce qui fera techniquement preuve dans un premier temps sera l'adresse IP interceptée et qui aura permis de remonter jusqu'à la connexion à internet de l'abonné. Je détaillerais :
- Ces adresses peuvent être « forgées » : selon le niveau de protocole qui sera utilisé pour le filtrage, il est possible d'usurper l'adresse IP de quelqu'un d'autre.
- Ces adresses publiques ne concernent pas les sous-réseaux : dans le cas d'un accès partagé à internet (réseau domestique, Wi-Fi...), impossible de décider quel ordinateur est impliqué. C'est pour cela qu'un logiciel client est indispensable pour avoir des preuves tangibles. Sans logiciel client, la preuve est potentiellement fausse, d'où l'absurdité de la loi, or une loi absurde est dangereuse. Avec un logiciel client (et certainement pas open source, ce n'est pas l'esprit), adieu votre vie privée.
- Ces adresses concernent un accès à internet, mais pas une personne : en cas d'ordinateur partagé par une famille ou un groupe, impossible de savoir qui a fait quoi. Donc d'une part on peut vous pirater, d'autre part ça peut venir de chez vous. La loi va dans le sens de vous accuser a priori.
Problématique de la preuve, donc, et volonté de pouvoir accuser n'importe qui. C'est extrêmement grave.
Le deuxième énorme problème à mon sens est celui de la surveillance, dont parle également l'article d'Agora Vox.
Je pense que la question de la preuve, donc ici de l'arbitraire, voire du délirant (quand l'arbitraire est, en plus, « de bonne foi » !), est un cas d'école des coups de boutoirs que subit régulièrement la République. Dans le but de conforter une structure économique qui na pas su s'adapter (ici le modèle de distribution des œuvres numériques), on souhaite remodeler le consommateur lui-même (un peu comme Monsanto qui remodèle les graines pour imposer son modèle d'agriculture), quitte à ce qu'il y ait des effets nocifs sur l'individu en tant que citoyen, et quitte à se torcher avec les fondamentaux du droit.
Pour moi ce n'est pas une tension entre le fric et la République, tension qu'il s'agirait de régler par une voie médiane, mais très fondamentalement un combat entre des comportements débridés, qui se conçoivent eux-mêmes comme sans limites ou alors éventuellement extérieures — ainsi le droit est considéré comme une circonstance —, et une volonté positive, dont le droit est logiquement une conséquence.